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Libre opinion: Quelle place occupera l'action communautaire autonome au Québec?

Petsa

2003-08-06

May-akda

Lorraine Guay, Stephan Reichhold, and Lucie Bélanger

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Le Devoir

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«Doter le Québec d'une politique gouvernementale de reconnaissance et de soutien de l'action communautaire, c'est situer sans équivoque les organismes communautaires au centre du renouvellement des pratiques sociales québécoises; c'est reconnaître pleinement leur rôle dans le développement social et économique du Québec.» Extrait de la politique gouvernementale L'action communautaire, une contribution essentielle à l'exercice de la citoyenneté et au développement social du Québec.

Lancée en septembre 2001, cette politique est le résultat de près de 30 ans de revendications de la part du mouvement communautaire autonome, quel qu'ait été le parti au pouvoir. Au cours des cinq années qui ont précédé son adoption, des efforts particulièrement intenses ont été fournis autant par les représentants des milieux communautaires autonomes que par les représentants de l'État pour doter enfin le Québec d'une telle politique gouvernementale. Or, alors que nous en sommes toujours à en orchestrer la mise en oeuvre, voilà que votre gouvernement fraîchement élu annonce qu'il va procéder à la «réingénierie» de l'État québécois.

Mais quelle place occupera l'action communautaire autonome dans vos projets, M. le premier ministre? Le gouvernement québécois a depuis plusieurs années fait preuve d'une maturité politique et sociale rare en choisissant de financer des groupes dont la mission vise entre autres à le critiquer. Aurez-vous l'audace de poursuivre cette tradition fort peu répandue à travers le monde? Votre gouvernement acceptera-t-il de conserver aux groupes communautaires une autonomie pleine et entière quant à la définition de leur mission, de leurs orientations, de leur approche et de leurs pratiques? Maintiendra-t-il la reconnaissance des caractéristiques propres à cet outil de transformation sociale? Ce n'est qu'à ce prix que l'action communautaire autonome pourra demeurer le terreau fertile qu'elle a toujours été en matière de développement de pratiques sociales. Dans la mesure où votre parti a clairement appuyé les revendications des groupes d'action communautaire autonome lors de l'importante manifestation du 23 octobre 2002 à Québec, quelle attitude prendrez-vous face au processus de mise en oeuvre de la politique de reconnaissance? Qu'en sera-t-il des engagements déjà pris par vos prédécesseurs tant au plan des principes qu'au plan financier? Tout cela passera-t-il au collimateur du Conseil du trésor, comme le laissent présager nombre de vos annonces depuis avril dernier

Il n'est pas inutile de rappeler, M. Charest, que les 4000 groupes composant l'action communautaire autonome s'affairent au quotidien à donner sens et substance à l'expression «vivre ensemble». Opposés au repli sur soi de l'individualisme triomphant et à la marginalisation des personnes les plus vulnérables qu'il entraîne dans son sillage, les groupes d'action communautaire autonome oeuvrent fondamentalement à un projet de solidarité et d'inclusion sociale où toutes et tous sans exception auraient droit à une juste part et à une juste place. Présents dans des secteurs aussi divers que la santé, les services sociaux, les personnes réfugiées et immigrantes, l'environnement, les communications, l'alphabétisation, le loisir, etc., ces milliers de femmes et d'hommes, de travailleuses et de travailleurs, des personnes agissant à titre militant ou bénévole ont fondé sur la politique de reconnaissance de vifs espoirs d'amélioration de leurs conditions d'existence et d'action. Nous convenons sans difficulté que la mise en oeuvre d'une politique touchant pratiquement tous les ministères représente un défi d'envergure. Mais nous demeurerons convaincus que le coût des efforts qui restent à fournir est bien inférieur à celui que pourraient entraîner un recul face à la politique et le non-respect des engagements déjà pris.

Votre parti, M. le premier ministre, a donné pour titre à son programme Ensemble réinventons le Québec. Mais «réinventer» n'indique pas nécessairement que nous allions vers un mieux. Cela signifie seulement que ce qui vient sera différent de ce qui était. Or, la différence à laquelle vous nous conviez se révèle en réalité un retour vers du connu, un retour vers une époque où n'existaient que la compassion, la charité, la bonne volonté des individus, mais non pas la justice. Votre appel, par votre ministre des Finances interposé, à «faire sans l'État» risque de nous ramener brutalement à la pratique des «dames patronnesses». Quand l'État refuse d'assumer la responsabilité d'assurer la justice et l'équité entre les citoyens, quand on compte de façon illusoire sur le «tout au marché» pour faire ce travail, alors la tentation est grande «d'utiliser» les groupes communautaires pour «faire la job...», une position que le mouvement communautaire autonome a toujours récusée, tant des péquistes que des libéraux.

À l'heure actuelle, les 4000 groupes d'action communautaire autonome, chacun selon sa mission propre, travaillent à favoriser l'exercice d'une citoyenneté active: ils encouragent leurs membres à prendre la parole, à comprendre les enjeux sociaux, à se mobiliser; ils éduquent, défendent les droits et libertés, soutiennent, accompagnent, orientent, réconfortent, hébergent, conseillent, informent, dépannent chaque année des milliers de personnes. Et ils le font depuis toujours avec des moyens extrêmement limités.

Les négociations qui ont conduit à l'adoption de la politique de reconnaissance en septembre 2001 avaient pour but, entre autres, la reconnaissance de la spécificité de l'action communautaire autonome, le respect de son autonomie et l'obtention d'un financement en appui à la mission des organismes qui soit adéquat et récurrent. Ce travail a été mené conjointement par le Secrétariat à l'action communautaire autonome (SACA), le Comité aviseur de l'action communautaire autonome et des représentants gouvernementaux. Le Comité aviseur, à titre de coalition multisectorielle représentant depuis 1996 l'ensemble de l'action communautaire autonome, a joué un rôle primordial dans le processus d'élaboration de la politique et sa contribution demeure tout aussi importante pour la suite des choses.

Nous vous demandons donc instamment, M. le premier ministre, de préciser vos intentions par rapport à l'action communautaire autonome. Pour nous, il ne fait aucun doute que la mise en oeuvre de la politique de reconnaissance doit suivre son chemin, que les engagements financiers pris par vos prédécesseurs doivent être respectés et que le Comité aviseur à l'action communautaire autonome doit demeurer l'interlocuteur privilégié du gouvernement pour tout ce qui concerne la mise en place de la politique de reconnaissance. En deçà de ces orientations, de la lutte à la pauvreté et de l'amélioration des acquis sociaux, comment pourriez-vous prétendre réinventer le Québec?

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