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Newspaper article

Commission des relations de travail - Une victoire pour les travailleurs agricoles migrants

Date

2010-04-21

Authors

Michel Coutu

Abstract

Dans une décision à plus d'un titre remarquable, la Commission des relations du travail (CRT) vient de déclarer inopérante (TUAC c. L'Écuyer & Locas, le 16 avril 2010) car contraire à la liberté constitutionnelle d'association (article 2d)) de la Charte canadienne des droits et libertés et article 3 de la Charte québécoise) une disposition du Code du travail du Québec qui empêchait la syndicalisation des travailleurs agricoles saisonniers.

Newspaper title

Le Devoir

Full text

Dans une décision à plus d'un titre remarquable, la Commission des relations du travail (CRT) vient de déclarer inopérante (TUAC c. L'Écuyer & Locas, le 16 avril 2010) car contraire à la liberté constitutionnelle d'association (article 2d)) de la Charte canadienne des droits et libertés et article 3 de la Charte québécoise) une disposition du Code du travail du Québec qui empêchait la syndicalisation des travailleurs agricoles saisonniers.

Il s'agit de l'article 21(5), C.t., à l'effet suivant: «Les personnes employées à l'exploitation d'une ferme ne sont pas réputées être des salariés [...] à moins qu'elles n'y soient ordinairement et continuellement employées au nombre minimal de trois.» Cette disposition visait, au moment de son adoption (1964), à prémunir la petite ferme familiale contre la présence syndicale. Comme l'observe Me Robert Côté, vice-président de la CRT, la nature de l'exploitation agricole s'est radicalement transformée au Québec depuis les années 1960, passant de très petites unités largement orientées vers l'économie de subsistance à des entreprises à forte capitalisation axées vers la rentabilité et le profit (en dépit des conditions difficiles que connaît toujours ce secteur d'activité): des entreprises de taille importante, en particulier dans le secteur maraîcher, opèrent avec l'apport d'une forte main-d'oeuvre saisonnière pour plusieurs mois, sans toutefois employer à longueur d'année trois salariés, évitant ainsi la syndicalisation de leur main-d'oeuvre.

Qui sont ces travailleurs saisonniers? La décision très fouillée de la CRT (qui se révèle à cet égard un modèle de «jurisprudence sociologique») contient une mine de renseignements sur ce point. Ici aussi la réalité a beaucoup évolué depuis les années 1960, où il n'était question que de quelques surnuméraires employés de manière très ponctuelle. Il s'agit pour l'essentiel d'une main-d'oeuvre immigrante, formée d'une part de travailleurs d'appoint recrutés à la journée ou à la semaine (surtout des immigrants de fraîche date venus du sous-continent indien), d'autre part de travailleurs saisonniers qui viennent annuellement au Canada sur la base d'ententes bilatérales conclues entre le gouvernement fédéral et, principalement, trois pays fournissant cette main-d'oeuvre bon marché, soit le Mexique, le Guatemala et la Jamaïque.

Dans le cas de la décision rendue par la CRT, les travailleurs étaient tous des Mexicains, admis pour un maximum de huit mois au Canada en vertu du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) institué en 1974. Le contrat de travail des travailleurs agricoles migrants mexicains est encadré de manière très stricte par le PTAS: ces travailleurs, payés au salaire minimum, doivent obligatoirement résider sur la ferme de l'employeur désigné; ils sont admis annuellement au Canada pour une période maximale de huit mois et doivent retourner au Mexique à la fin de leur contrat de travail.

Le travailleur qui fait défaut de résider dans le logement qui lui est attribué peut être considéré comme ayant abandonné son emploi. Le retour du travailleur au Canada la saison suivante est conditionnel à l'accord et à l'évaluation positive préalables de l'employeur désigné. En pratique, le congédiement du travailleur ou son non-rappel au travail ne peuvent faire l'objet d'un quelconque recours et sont donc laissés entièrement à la discrétion de l'employeur. Encore que la journée de travail soit en principe de huit heures et la semaine de travail, limitée à six jours, les dispositions de la Loi sur les normes du travail relatives aux heures supplémentaires ne s'appliquent pas à ces travailleurs.

Il est interdit aux travailleurs migrants saisonniers de travailler pour une autre personne que l'employeur désigné: il revient par ailleurs à celui-ci d'autoriser ou non la visite de personnes de l'extérieur sur la propriété. Fréquemment, l'employeur retient le passeport et les autres pièces d'identité appartenant aux salariés. Par contre, on relèvera que ceux-ci sont couverts par l'assurance maladie du Québec dès leur arrivée et ont droit à la protection et aux recours offerts par la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles et la LSST.

La CRT souligne toutefois que l'exercice de ces droits s'avère en pratique difficile en raison de la barrière linguistique, de l'isolement des ces travailleurs et du contrôle quasi permanent qu'exerce l'employeur à leur endroit; en particulier, constituent autant d'obstacles «l'insécurité qui découle de l'absence de recours en cas de rupture de contrat par l'employeur et le rapatriement forcé au Mexique que cette décision peut entraîner. Il en est de même de l'absence de garantie de retour au travail l'année suivante» (par. 177).

En dépit de l'absence de droit à la syndicalisation qui prévalait jusqu'à maintenant, les TUAC ont mis sur pied, en 2004, le Centre d'appui aux travailleurs agricoles migrants (CATAM) pour venir en aide à ceux-ci, les informer de leurs droits et tenter de les regrouper. À cet égard, la décision de la CRT fait état de mesures d'intimidation et de harcèlement à l'endroit de membres du CATAM, et de mesures de représailles exercées contre des travailleurs saisonniers.

La liberté constitutionnelle

Pour conclure au caractère inopérant de l'art. 21(5) C.t., la CRT s'appuie sur la décision cruciale de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Health Services de 2007 (voir Le Devoir, pages Idées, édition du samedi 6 juin 2007). Se référant notamment à la convention no 87 de l'Organisation internationale du travail (OIT) sur la liberté syndicale ainsi qu'aux décisions pertinentes du Comité de la liberté syndicale du BIT, la Cour suprême, écartant sa propre jurisprudence datant de 1987, a jugé que la liberté constitutionnelle d'association (article 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés) protège le droit de négociation collective.

Ce droit constitutionnel impose en particulier à l'État l'obligation de ne pas entraver de manière substantielle, dans sa législation et réglementation, le processus de négociation collective, ce qui comprend, précise avec raison la CRT, l'obligation pour les salariés et les employeurs de négocier de bonne foi; le droit à l'accréditation pour le syndicat majoritaire; enfin, l'existence de mécanismes statutaires pour résoudre les différends (impasses dans la négociation collective) et les mésententes relatives à l'interprétation et à l'application des conventions collectives. Ces éléments étant tous exclus par l'art. 21(5), C.t., cette dernière disposition est déclarée inopérante par la CRT: en conséquence, celle-ci procède à l'accréditation du syndicat requérant, ce qui ouvre la porte à la reconnaissance par la CRT des associations syndicales regroupant une majorité des travailleurs agricoles saisonniers chez un employeur désigné. La CRT mentionne en particulier (par. 302) que la reconnaissance des syndicats de travailleurs agricoles représente une condition essentielle de réalisation de la démocratie au travail, à laquelle peuvent légitimement aspirer tous les salariés travaillant pour des employeurs au Canada.

Le droit à l'égalité

Un seul aspect de la décision de la CRT demeure à notre avis sujet à caution: il s'agit du rejet par la Commission de l'argumentation des procureurs du syndicat (Me Sibel Ataogul et Me Pierre Grenier) relative à la portée discriminatoire de l'article susmentionné du Code du travail. Sans être déterminante (vu la conclusion générale de la CRT quant à l'inconstitutionnalité de cette disposition), il s'agit néanmoins d'une dimension importante.

Ayant souligné à de nombreuses reprises le caractère vulnérable, l'isolement et la situation défavorisée qui caractérisent les travailleurs agricoles migrants, ainsi que la nature pénible de leur travail et le peu de valeur qui lui est attribuée, la CRT pouvait à notre avis conclure que les travailleurs agricoles migrants constituent une «minorité discrète et isolée» victime historiquement de discrimination au sens de l'art. 15(1) de la Charte canadienne (voir sur ce point, par analogie, la décision exemplaire de la juge Danielle Grenier invalidant les lois 7 et 8 quant à la discrimination dont sont victimes les travailleuses à domicile dans le domaine de la santé et des services sociaux).

Pour conclure, soulignons à nouveau l'excellence de cette décision de la CRT qui représente une étape importante — encore que la route vers une égalité réelle des droits demeure sans doute longue et sinueuse — vers la reconnaissance pleine et entière, conforme aux engagements internationaux du Canada et du Québec, de la liberté d'association des travailleurs agricoles migrants.

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